Formation des enseignants du 1er degré : à quand un véritable plan de formation continue ?

La formation continue des enseignants cristallise aujourd'hui toutes les contradictions d'une institution qui prétend valoriser ses personnels tout en niant leur professionnalisme.

Entre les discours ministériels glorifiant « l’école du futur » et la réalité du terrain, le fossé ne cesse de se creuser. Comment parler de confiance quand chaque initiative de formation est encadrée, contrainte, voire niée ? Comment maintenir l’engagement des enseignants quand leur temps de formation n’est ni reconnu, ni entièrement rémunéré ?

Les 18 heures : un carcan qui étouffe toute initiative

Chaque professeur des écoles dispose de 18 heures pour se former en étant rémunéré. Ces 18 heures sont cependant appelées « animations pédagogiques »… L’appellation n’est pas anodine : elle révèle la vision infantilisante que porte l’Institution sur ses personnels. Comment peut-on parler de formation quand tout est verrouillé ?

Le découpage imposé  (6h de français, 6h de maths, 6h sur un autre thème) nie toute possibilité d’adaptation aux besoins réels du terrain. Plus grave encore, les choix proposés dans chaque domaine sont d’une pauvreté affligeante : contenus limités, redondants d’une année à l’autre, et pour partie constitués de temps d’observation et d’auto-formation puisqu’il s’agit de fabriquer des outils ensemble. Quelle contradiction ! On nous demande d’être concepteurs de nos outils tout en nous refusant le statut de professionnels capables de choisir leurs formations.

Je ne sais pas vous, mais moi je m’interroge : calcul mental et résolution de problème : 6h tous les 2/3 ans… Je dois vraiment être nulle pour avoir besoin de ce type de formation pendant toute ma carrière… Ou alors, n’est-ce pas plutôt le signe d’un système qui tourne en rond, incapable de proposer une véritable progression dans la formation de ses personnels ?

Pour une formation continue choisie :

Libre choix des contenus de formation

Reconnaissance des compétences d’auto-formation

Droit à un parcours personnalisé de formation

PAF : le mirage de la formation continue

En parallèle de ce carcan des 18 heures, nous avons le Plan Académique de Formation… Sur le papier, c’est magnifique : des propositions riches, des intervenants de qualité, des formations qui collent avec les projets ou les questions que l’on se pose.

En tant que professionnels de l’enseignement, nous sommes formés à l’auto-évaluation et parfaitement capables d’identifier les domaines dans lesquels nous avons besoin d’apports nouveaux… mais là encore, où est la confiance de l’Institution ?

Ce PAF, nous aimerions tant en profiter… Sauf que la réalité est bien moins reluisante : la majorité des formations sont hors temps scolaire, non rémunérées. Et lorsqu’elles sont programmées sur le temps scolaire, nous ne sommes pas toujours remplacés et parfois la formation nous est tout simplement refusée. Est-ce ainsi qu’on prétend construire une école de la confiance ?

Et les formations dans le cadre des projets ADAGE ?

C’est encore plus absurde : les règles changent d’un IEN à l’autre. Ici, on vous offre généreusement 3h de récupération sur les 18 heures, signifiant qu’une formation ADAGE vous exonère d’une formation imposée. Là, c’est sur votre temps personnel, donc bénévole.

Les dispositifs se juxtaposent en REP+ : si on ne note pas tout, on se perd …

Prenons l’exemple des réseaux d’éducation prioritaire renforcée, censés bénéficier de moyens supplémentaires. La réalité est un enchevêtrement de dispositifs mal coordonnés.

Les 18 heures imposées, subies plus que choisies, mais au moins rémunérées… Je salue au passage le courage des Conseillers Pédagogiques de Circonscription, car nous ne sommes pas toujours très accueillants, exaspérés par ce système qui nie notre professionnalisme.

Les formations interdegrés : Facultatives ? Obligatoires ? ça dépend !!

Elles sont hors temps scolaires, mais récupérées grâce à des remplacements …Cependant, faites attention à bien récupérer vos heures !

Un travail très enrichissant (sic!) demandé aux coordinateurs Rep+ : gérer le planning des remplacements … autant de temps de réflexion en moins pour promouvoir la réussite des élèves …

Les formations Rep+ : même question ! Facultatives ? Obligatoires ? ça dépend !

Elles ont cependant un gros avantage … elles ont lieu sur le temps scolaire !!

A cela il faut ajouter, les temps de concertation imposés (liaison école-collège, liaison maternelle-élémentaire, formations CP-CE1 dédoublés … rémunérés ? Pas toujours … et surtout on s’y perd !!

Pour une formation cohérente en éducation prioritaire :

• Un cadrage national clair des temps de formation

• Des moyens de remplacement sanctuarisés

• Une reconnaissance effective des temps de concertation

Pendant qu’en Finlande les enseignants bénéficient de 150h annuelles de formation choisie et reconnue, en France, nous en sommes réduits à mendier des heures de formation.

L’engagement invisible des enseignants : on en a marre !

Pour illustrer le propos, un retour d’expérience :

« Hier, je suis allée à la remise des Labels Citoyens au Camp des Milles d’Aix en Provence. J’y ai vu des projets magnifiques construits pour lutter contre les discriminations, des associations, des enseignants, des directeurs d’établissement, des élèves de la maternelle à l’université… tous rayonnants de l’expérience vécue. Mais derrière ces sourires, combien d’heures d’engagement non rémunérées ont consacré les équipes pédagogiques pour faire aboutir ces projets citoyens ? Combien de temps de formation personnelle pour se hisser à la hauteur de ces enjeux fondamentaux ? »

Cette situation n’est plus tenable. Elle génère :

– Un épuisement professionnel croissant des enseignants qui doivent jongler entre leurs aspirations professionnelles et les contraintes institutionnelles,

– Une perte de sens pour des professionnels qui voient leur expertise niée,

– Un risque réel pour l’attractivité du métier : comment attirer de nouvelles générations dans une profession où les agents ressentent le manque de confiance de leur institution ?

Pour une reconnaissance effective du travail enseignant :

Comptabilisation de toutes les heures de formation

Intégration des temps de préparation dans le service

Revalorisation des missions de formation

Pour une formation continue digne de ce nom : il est temps d’agir !

Cette violence institutionnelle tue la profession. Comment peut-on prétendre moderniser l’école tout en maintenant ses personnels dans un tel carcan ? Le paradoxe est flagrant : via le PAF, nous recevons des ordres de mission et des attestations de présence… La comptabilisation des heures est donc techniquement possible ! Mais l’Institution préfère fermer les yeux sur le temps réel consacré à la formation individuelle.

Nous irons mieux lorsque le Ministère acceptera enfin de reconnaitre et de rémunérer le temps de travail effectif. Un bon début serait de prendre en compte l’intégralité du temps passé en formation, qu’elle soit institutionnelle ou choisie, sur temps scolaire ou non. C’est une question de respect pour les professionnels que nous sommes.

Nos propositions pour une formation continue respectueuse :

Un volume annuel garanti de formation choisie

Un plan de formation pluriannuel négocié

Une vraie politique de remplacement

La reconnaissance des certifications acquises

L’Institution ne peut plus continuer à se reposer uniquement sur l’engagement et la bonne volonté des enseignants. Certes, nous continuerons à nous former, à innover, à porter des projets ambitieux pour nos élèves – c’est le cœur de notre métier. Mais jusqu’à quand accepterons-nous de le faire dans ces conditions ?

La qualité de l’école publique mérite mieux que ce bricolage permanent. Elle nécessite une véritable politique de formation continue, ambitieuse, respectueuse des enseignants et de leur professionnalisme.

Car au final, la question est simple : à quel moment l’Institution fera-t-elle enfin confiance à ses enseignants ?