Au moment de prendre ma retraite…

Au moment de prendre ma retraite, j'avais envie de revenir sur mon parcours de prof et de militant. A lire comme un simple témoignage, ou un billet d'humeur.

Enseignant contractuel de FLE pendant plusieurs années à l’étranger avant de passer le Capes de Lettres modernes en 2000, et titularisé depuis quinze ans à l’École internationale de Manosque, je prends aujourd’hui ma retraite, à 65 ans : prendre cette décision aujourd’hui résulte simplement d’un subtil équilibre entre le niveau d’usure et de fatigue que je ressens et le niveau de pension que je suis censé percevoir après décote. Je suis bien conscient pourtant que je n’ai pas eu comme de nombreux.ses collègues à subir les difficultés et les souffrances résultant d’une affectation dans un établissement, du 2nd comme du 1er degré, accueillant des publics dits difficiles, ou tout simplement pâtissant de manière plus aiguë qu’ailleurs du désintérêt de nos administrations et des restrictions de moyens.

J’ai eu cette chance d’avoir pu vivre souvent, avec mes élèves, de beaux moments de littérature et de théâtre. Une pensée particulière pour ces classes de TL et de 1ère, avant que, malgré tous les efforts de mes collègues de Lettres, le bac Blanquer ne transforme le programme de français au lycée en exercice de bachotage rendant superflue pour les élèves toute exigence de réflexion et d’esprit critique.

J’ai eu aussi la chance de connaître des relations de solidarité et d’amitié, construites dans des luttes partagées autant que des moments de convivialité, voire de franche rigolade. Et non seulement en salle des profs, mais aussi avec les personnels administratifs comme de vie scolaire, les accompagnant.e.s d’élèves en difficulté comme les agents techniques – bref, tous ceux qui, contre pandémies et canicules, et parfois contre notre administration[1], permettent à l’Éducation Nationale de tenir.

Mais le vrai bonheur du jeune retraité que je suis, c’est de ne plus avoir à subir la pression de notre institution : comment pourrais-je regretter un système dont le fonctionnement est basé sur la maltraitance systématique des personnels ? un système piloté autoritairement, à coups d’injonctions descendantes ou de manipulations relayées à tous les niveaux de hiérarchie sans tenir compte des besoins réels ni de l’expertise des professeurs et des agents confrontés au terrain pour trouver des solutions ? un système plus préoccupé de ses tableaux Excell et de ses coups de com que du bien-être au travail de ses personnels, voire d’une simple considération humaine envers eux ? un système qui de plus en plus génère une perte du sens de notre métier, et qui, dans les situations individuelles les plus tendues ou les plus absurdes, concourt même à broyer des personnes ?

Face à l’institution : l’engagement syndical

C’est pour réagir face à ce constat que j’ai choisi l’engagement syndical. Certes, on peut toujours attendre la retraite en se réfugiant entre les quatre murs de sa classe, en se contentant de faire son boulot – et d’ailleurs de le faire bien, en pactisant juste ce qu’il faut pour grappiller des avantages individuels. Mais pour moi, si on est sincèrement conscient de la violence du système, on ne peut pas tirer son épingle du jeu : comme disait Sartre, notre passivité même est une action, et une caution de ce système.

Mes années d’activité à la CFDT Éducation m’ont permis de confronter et d’enrichir ma réflexion à celle d’autres personnes afin de rechercher des réponses solidaires dans notre champ professionnel. Bien sûr, la tentation de jeter l’éponge est forte face à une administration rétive à la moindre concession, d’autant plus que la fameuse « simplification » du dialogue social a réduit celui-ci comme peau de chagrin – ce que j’ai pu constater en siégeant dans les instances départementales. Mais il y a eu aussi plusieurs succès, obtenus par l’action collective à différents niveaux, que ce soit pour faire évoluer notre statut, ou simplement permettre à un.e collègue d’obtenir gain de cause face à l’administration.

Pour tout cela je reste convaincu que l’engagement de chacun.e d’entre nous, dans quelque structure, dans quelque contexte et de quelque manière que ce soit, mais toujours avec et en faveur de ses collègues est indispensable. J’ai pu observer et apprécier pendant toutes mes années d’enseignement, de la part des profs, des agents, des personnels, un investissement permanent pour le progrès des élèves qui nous sont confiés : c’est dans cet investissement, qui souvent force l’admiration, que réside notre dignité. Et c’est à nous qu’il appartient de défendre cette dignité, même – surtout ? – vis-à-vis de l’institution qui devrait pourtant être la première à le reconnaître. C’est ce à quoi en tout cas je continuerai à m’appliquer, bien décidé à ne pas battre en retraite !

[1] L’expression est inspirée de l’excellente émission « L’école contre les profs » diffusée sur France Culture dans la série « Être et Savoir : Profession enseignant.e »