Lors du CDEN de rentrée ce jeudi 10 octobre, le chapitre du « numérique » a donné lieu à un débat assez vif dans le cadre des questions diverses.
En effet, le déploiement des tablettes qui se généralise dans les collèges soulève un réel malaise de la part des parents d’élèves, et beaucoup d’interrogations de la part des enseignant.e.s. Les tablettes, dans nos 18 collèges, c’est quand même 4579 appareils livrés à la rentrée pour 1,250 million d’euros, et 153 000 euros de licences de manuels.
Des tablettes pour 1,250 million d’euros : pourquoi, comment ?
Les parents d’élèves expriment le sentiment que tout s’est fait malgré eux ; à l’heure où l’on dénonce de plus en plus la surexposition des préados aux écrans, que de nombreux cadres des GAFAM font savoir qu’ils interdisent l’accès aux smartphones et autres tablettes à leurs enfants, leur inquiétude est légitime. Faux, rétorque-t-on au Conseil Départemental : il y a eu d’abord en 2022 une phase d’expérimentation volontaire sur quelques collèges, suivie d’une enquête de satisfaction ; puis un vote au CA a validé dans les établissements l’implantation des tablettes (pour un ou quatre ans selon le cas). Sans doute. Mais il a fallu se prononcer alors que les résultats de l’enquête ne sont toujours pas publiés, et la question posée en CA aurait été souvent : « Sachant que les manuels papiers ne seront bientôt plus remplacés, êtes-vous d’accord avec le déploiement de tablettes numériques ? »
Sur le plan pédagogique, les enseignant.e.s sont confronté.e.s aux même problèmes rencontrés en lycée (au fait, sauf erreur de ma part, on attend toujours une évaluation pédagogique de cette mesure engagée par la Région en 2019). A côté de la facilité d’accès aux manuels numériques et aux applications pédagogiques, on a noté la dispersion des lycéens surfant en classe sur des applications de jeux, de dessin, etc. Beaucoup de collégiens, déjà, ne sont pas en reste. D’autres en revanche rencontrent la difficulté de s’approprier l’outil, télécharger les manuels, réinitialiser les applications – des problèmes que l’enseignant.e, faute de personnel dédié dans les collèges, est bien obligé.e de prendre en charge avec eux au prix d’un temps précieux sur ses cours.
Vivre avec son temps
Le Département dit être conscient de ces questions, mais apporte des réponses. D’abord, il existe un « Comité de pilotage départemental », qui peut se décliner en « Commissions TICE » dans les établissements ; bonne nouvelle, ce n’est jamais trop tard pour l’apprendre. Ensuite, on propose des formations pour les professeurs ; mais la dernière en date a été annulée faute de participants. Sans doute, mais quand l’information arrive à peine une semaine avant dans les établissements, et qu’on connait la frilosité des chef.fe.s à laisser leurs profs s’absenter, cela peut se comprendre même si c’est dommage. Enfin, un blog a été ouvert à destination des familles pour apporter des réponses à ces problèmes techniques. Cela laisse rêveur : s’imaginer que cela suffit alors que combien de parents, pour peu qu’ils aient une culture du numérique, les moyens et le temps de suivre l’apprentissage de leurs enfants à la maison, feront la démarche de se connecter à un tel site ? Encore une innovation qui risque d’aggraver toujours plus les inégalités entre les élèves…
Je ne veux pas relancer ici la querelle des Anciens et des Modernes, des obscurantistes passéistes contres les amoureux inconditionnels du progrès. Je constate seulement que ce choix de dotation généralisée de tablettes numériques, qui est loin d’être anodin pour l’éducation des enfants et les pratiques d’enseignement, semble avoir été pris bien vite, bien légèrement. L’intérêt des enfants a-t-il été réellement pris en compte, tous les aspects de cette décision ont-ils été envisagés ? ou s’en est-on tenu au discours complaisant ambiant qui évacue si facilement les critiques et les alternatives au tout numérique ? Quelqu’un au Conseil Départemental a fini par me confier en off que la décision a été avant tout politique et poussée par un effet de mode. Et que ce qui a été déterminant, c’est que comme « dans le 13 ils l’ont déjà fait », notre département rural de l’arrière-pays provençal n’allait tout de même pas être en reste, et qu’on allait voir ce qu’on allait voir ! Et, de fait, on voit…