A bas la mort, vive l’intelligence !

Vendredi 13 octobre, un bras fanatique a sauvagement ôté la vie de notre collègue Dominique Bernard sur le parvis du lycée d’Arras. Dans son entreprise meurtrière, le terroriste islamiste a blessé trois autres collègues enseignants et personnels techniques.

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty devant son collège, notre école est de nouveau frappée en plein cœur. Parce qu’elle est l’école. Parce qu’elle fait l’école.

Passé le temps du deuil et de l’effroi, reviendra la même question, encore et toujours, que faire ? Comment ne pas se laisser submerger par le sentiment d’impuissance ? Comment agir sur le monde ?

Le 12 octobre 1936, il y a 87 ans presque jour pour jour, les fascistes espagnols s’opposent violemment au philosophe Miguel de Unamuno sur les bancs de l’Université de Salamanque. A pleins poumons ils hurlent leur sinistre cri de ralliement « vive la mort ! » et d’autres ajoutent « à bas l’intelligence ! ». Vendredi dernier à Arras, comme il y a trois ans à Conflans Ste Honorine, ce sont ces cris qui ont retenti dans mes oreilles. Ce n’est pas seulement notre école comme symbole de la République qui a été pris pour cible mais notre école dans son essence même. Une fonction vitale de la démocratie. Jamais aucun fasciste, aucun islamiste, aucun fanatique de quelque sorte ne tolérera que l’école et l’université forment des générations d’hommes et de femmes libres. Libres parce qu’ils y ont appris à douter. Libres parce qu’ils y ont appris à chercher. Libres parce qu’ils y ont appris à distinguer savoirs et opinions, science et croyance. Libres parce qu’il y ont découvert des mondes nouveaux et différents.

Ce triste 12 octobre 1936, Miguel de Unamuno répond aux fascistes dans son dernier discours resté célèbre dans l’histoire  : « Cette université est le temple de l’intelligence. Et je suis son grand prêtre. C’est vous qui profanez son enceinte sacrée. Vous vaincrez, parce que vous possédez plus de force brutale qu’il ne vous en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous persuadiez. Or, pour persuader, il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans la lutte.  »

Je repense à ce discours et je ne peux m’empêcher de faire des ponts avec aujourd’hui. Malgré les temps hostiles et le vacarme ambiant, malgré la tentation parfois de se réfugier dans un trou de souris et d’attendre que passe l’orage ( quelle illusion!), nous n’avons pas le choix. Nous ne devons ni ne pouvons laisser vaincre, et encore moins convaincre, aucun ennemi de la démocratie. Nous ne pouvons pas tout, nous ne pouvons pas seuls ( et nous nous sentons si souvent seuls), nous échouerons parfois, mais nous ne pouvons pas fléchir. Dans l’enceinte sacrée de nos écoles, dans le temple minuscule de nos salles de classe, nous continuerons chacun à notre manière à former des homme et des femmes libres. Nous continuerons ainsi à défendre l’intelligence contre la mort, la vie contre la soumission.

Quand la mer tangue trop fort, il n’y a peut-être pas grand chose d’autre à faire que d’essayer de tenir le cap et se raccrocher à nos boussoles. Parce que dans le fond ça n’est pas ne rien faire. La tâche est immense mais nous avons pour nous la raison et le droit dans la lutte.

Gilles Graber