Lettre ouverte : éducation prioritaire « notre sort vous intéresse t-il? »

Deux enseignants du Sgen-CFDT Provence Alpes travaillant en lycée en éducation prioritaire interpellent les candidats à la présidence de la République.

Mesdames et Messieurs les candidats à la magistrature suprême, notre sort vous intéresse-t-il ?

On croirait rêver.

Il y a une soixantaine d’années la scolarité obligatoire était portée à 16 ans.

Il y a une quarantaine d’années le collège unique était créé.

Dans ces temps oniriques et immémoriaux on visait l’élévation du niveau de formation et la réduction des inégalités des destins scolaires. Les travaux de sociologie relatifs aux causes de l’échec scolaire nous révélaient l’importance de l’origine sociale des élèves. Les inégalités sociales et les disparités spatiales se conjuguant et se renforçant mutuellement elles conduisaient à la concentration d’élèves ayant de grandes difficultés scolaires au sein de certains territoires.

Ces constats ont abouti à la création de politiques d’éducation prioritaire qui sous des labellisations superposées aux dénominations « éclairées » devaient être relancée régulièrement. Tout cela vous est parfaitement familier.

Les fondamentaux de ces orientations compensatrices, parfois caricaturés par des propos simplificateurs, furent portés par notre organisation syndicale dès 1972. Ils affirment la nécessité de politiques publiques spécifiques envers les populations les plus défavorisées pour faire vivre une meilleure égalité des chances, pour corriger l’impact des inégalités sociales, socioculturelles et économiques sur la réussite scolaire des élèves qui nous sont confiés, par un renforcement des actions pédagogiques et éducatives des établissements relevant des territoires qui rencontrent les plus grandes difficultés sociales.

En 2014, ces principes ont d’ailleurs été réaffirmés lors de la refonte des Réseaux d’Education Prioritaire qui n’a concerné que les écoles et les collèges et s’est malheureusement arrêtée aux portes de nos lycées (parfois situés sur le trottoir d’en face), laissant leurs personnels et leurs élèves dans l’incertitude et l’incompréhension.

Comment imaginer que toutes les difficultés, bien réelles, les comportements inadaptés, violents et incivils, s’évanouissent par enchantement lorsque les élèves passent du collège au lycée ?

Et pourtant malgré un moratoire obtenu non sans difficultés prorogeant les dispositifs actuels et qui prendra fin en 2019, aucune liste de lycées généraux, technologiques et professionnels bénéficiant des politiques d’éducation prioritaire n’est à ce jour publiée officiellement par le gouvernement.

Est-ce un oubli malencontreux ? Malheureusement non ! Madame la Ministre de l’éducation nationale a été plusieurs fois sollicitée par les diverses organisations syndicales sans grand succès.

Concrètement cela signifie qu’après 2019, sans tenir compte des difficultés malheureusement persistantes et grandissantes, le nombre d’adultes de ces établissements sera réduit, le nombre d’élèves par classe sera augmenté, les conditions d’exercice seront nettement dégradées, la juste rétribution de la pénibilité pour les personnels (bonifications pour mutation, primes modiques mais symboliques) abolies. Les personnels de ces lycées se sentent totalement abandonnés et non reconnus, leur investissement méprisé et sacrifié sur l’autel des contingences budgétaires.

Comment assurer dans ces futures conditions nos missions dans des conditions sereines avec des équipes éducatives reconnues, stables et soutenues dans un cadre propice au travail et à la réussite ?

Et pourtant, comme vous le savez, un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chance qu’un enfant de cadre d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur ou son baccalauréat général.

Dans la plupart des territoires relevant de l’éducation prioritaire, les établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) et les centres de soins sont les seules institutions républicaines ouvertes largement au public, à son service et contribuant à l’indispensable lien social. Lui aussi doit-il être sacrifié sur l’autel des économies budgétaires ?

Une certaine conception de la société éminemment républicaine, les valeurs d’équité, d’égalité de solidarité et de fraternité sont mises à mal dans une certaine indifférence.

Actuellement les personnels des lycées relevant encore de l’éducation prioritaire se mobilisent de manière significative, par des journées de grève et de manifestation pour soutenir l’affirmation politique et évidente que les lycées ont vocation à rester dans le cadre de l’éducation prioritaire et réclamer la constitution d’un groupe de travail visant à poser les bases d’une carte élargie prenant en compte les réalités du terrain et des critères objectifs et transparents.

La question se pose à nouveau : quel sort réservez-vous aux élèves, équipes pédagogiques et personnels des lycées « ZEP » ?

 

Jean-Marc Angeletti, secrétaire de la section Sgen-CFDT du lycée général et technologique St Exupéry (Marseille).

Corinne Châmes, secrétaire de la section Sgen-CFDT du lycée professionnel Colbert (Marseille)